Ande Surau: «Je n’ai pas dormi cette nuit-là»
Située sur la ceinture de feu du Pacifique, l’Indonésie subit une forte activité volcanique et de fréquents séismes dont deux particulièrement destructeurs dans les environs des villes de Padang (île de Sumatra) et Jogjakarta (île de Java). Dans ces deux régions culturellement très différentes, Caritas Suisse mène un vaste programme de reconstruction à Padang Sago et plusieurs projets à Pengkol. Reportage au cœur de l’Indonésie.
Caritas •Planète solidaire» 3/10. Version courte. Article Planète en pdf
Texte: Grégoire Praz; Photos: Eng Hiong Low
Sur l’île de Sumatra, en pleine forêt tropicale, Padang Sago est une région pauvre du district de Padang particulièrement touchée par le séisme de 2009 qui a fait 1117 victimes (voir encadré). Plus de 80% des maisons ont subi des destructions à Padang Sago à la suite du tremblement de terre. De nombreux villageois vivent encore dans leur maison à moitié détruite au péril de leur vie et d’autres ont trouvé refuge chez des membres de leur famille ou dans des abris provisoires. La plupart des habitants de cette région sont pauvres. Ils vivent comme travailleurs journaliers dans l’agriculture, comme tailleurs, chauffeurs ou pratiquent de petits travaux agricoles. Le revenu moyen est de moins de 100 francs suisses par mois. La plupart n’ont pas les moyens de commencer à réparer leur maison.
«J’étais très effrayée»
Elle porte un petit bonnet en laine sur sa tête et nous confie en souriant: «J’ai trois enfants, sept petits-enfants et même deux arrière-petits-enfants. Je m’appelle Surau, qui signifie maison de prière dans notre langue, parce que je suis née dans une mosquée. Elle réalise que sa maison est détruite et se dit: «J’ai pensé à ce qui allait m’arriver, ma maison était détruite. J’ai senti une grande tristesse m’envahir, j’ai pleuré. Je n’ai pas pu dormir cette nuit- là.»
2009: LE SÉISME À SUMATRA
Avant le séisme, Ande avait trois vaches, cinq chèvres et plusieurs poulets. Ce sont ses seules sources de revenu. Aujourd’hui, il ne lui reste qu’une vache, deux chèvres et quatre poulets. Elle désire plus que tout pouvoir reconstruire sa maison: «J’ai vendu une vache pour réparer le toit et trois chèvres pour acheter des briques. Mais je n’ai pas les moyens d’acheter plus de matériel et de commencer à réparer ma maison». Les briques se trouvent entassées à côté de sa maison. Ses enfants ne peuvent pas l’aider: «Ils sont aussi pauvres et n’ont pas d’argent pour leur propre famille. Ils ne peuvent malheureusement pas m’aider. Comme je n’ai pas d’argent pour reconstruire ma maison, je suis obligée de laisser le matériel entassé à côté de ma maison. Je pensais pouvoir la réparer mais cela me coûterait trop cher. Je ne peux plus vivre dans mon ancienne maison, j’espère pouvoir réutiliser les briques que j’ai déjà achetées pour la nouvelle maison que Caritas a promis de construire.» Ande nous confie devant sa maison sérieusement endommagée: «C’est la maison de ma famille. J’avais 12 ans quand elle a été construite. Je me rappelle que j’allais chercher des pierres à la rivière pour aider à construire les murs. Cela me rend triste de voir ma maison dans cet état. Je ne peux plus y habiter».
Ande a malgré son âge des journées bien remplies. Elle s’occupe toujours de sa vache, de ses chèvres et de ses poulets. Elle prévoit d’habiter avec sa petite fille Eni Sugiharti dans sa nouvelle maison. Aujourd’hui, elle se rend chez sa voisine Diamari pour l’aider à préparer le Lamang, une spécialité de riz cuit sur le feu à l’intérieur de bambous. Cette manière de cuire le riz permet de le conserver plusieurs jours. Ande s’empresse d’aller chercher des feuilles de bananiers et d’y enrouler quelques rouleaux de riz pour nous les offrir.
«Mon père a pu échapper de justesse à la mort»
A Puncoruyuang, dans une zone reculée de la forêt tropicale, l’organisation IBU visite une famille de 10 personnes qui vit dans une maison en grande partie détruite par le tremblement de terre. Cette famille fait partie des bénéficiaires potentiels mais l’organisation IBU désire vérifier les conditions de vie de la famille et les destructions subies par la maison. Zainar, 36 ans, aînée de la famille nous accueille. Elle porte sa fille Intar de quatre ans (qui signifie diamant en indonésien) dans ses bras. Les murs de la maison sont constitués de tôles rouillées qui proviennent du toit de la cuisine. L’intérieur de la maison est sombre, une femme malade est couchée sur le sol, c’est la mère de Zainar. Elle souffre de problèmes intestinaux. Un homme, torse nu, à la mine hagarde se tient sur une couche. C’est Gulo, le père de Zainar. Employé du ministère de l’éducation à la retraite, il touche une pension de 30 francs par mois qui est la seule source de revenu de la famille. «Lors du tremblement de terre, tous les murs de la maison ont été détruits. Mon père tentait de retenir le toit pour qu’il ne nous tombe pas sur la tête. Il a pu échapper de justesse à la mort lorsque les murs de la maison se sont effondrés. Toute la famille a dû vivre pendant 10 jours dans notre poulailler». Zainar nous montre à côté d’un amoncellement de pierres le poulailler qui tient à peine debout. Compte tenu de sa situation financière et des destructions subies par sa maison, elle a beaucoup de chance de figurer parmi les bénéficiaires.
LES MINANGKABAUS
Originaires des régions de Padang et Pariaman, les Minangkabaus constituent la plus grande société matrilinéaire au monde. Ils sont organisés en quatre clans. La terre, les biens immobiliers et mobiliers sont la propriété des femmes. Les mères les transmettent à leurs filles. Les hommes n’ayant plus rien sont contraints d’émigrer s’ils veulent faire fortune mais leur devoir est de faire profiter le village de leur réussite. Ils s’occupent également de la religion et des affaires administratives. Les enfants portent le nom de clan de leur mère et l’homme qui en a la responsabilité n’est pas le père mais l’oncle maternel. Pour le mariage, c’est la famille de la fille qui vient demander la main du garçon.
«Le monde a changé»
Au milieu de la forêt, nous sommes attirés par une maison toute blanche qui ne ressemble à aucune autre. «Douze personnes m’ont aidée à reconstruire cette maison. Quand elle était terminée, un collaborateur de Pupuk m’a recommandé d’en prendre soin et je l’ai fait! Je voulais remercier Caritas de m’avoir donné cette maison», lance Sagiyem, une veuve de 70 ans qui vit avec sa mère malade de plus de 100 ans. Sagiyem a repeint les murs de la maison, posé du carrelage sur la véranda et même de petites colonnes en bois. Elle en a fait la maison la plus belle de la région. Son fils travaille comme ouvrier agricole à Jogjakarta et lui a permis d’acheter les fournitures nécessaires pour le carrelage. «Quand le séisme est arrivé, ma maison était presque détruite. En voulant sauver ma mère lors de l’effondrement de la maison, je me suis cassé le bras et je ne savais pas comment je pouvais encore continuer à vivre. Mais maintenant le monde a changé, je suis vraiment très heureuse dans cette maison, je peux à nouveau rire et penser à l’avenir». Son voisin Ngadiso, 68 ans, loue le courage de Sagiyem et il est admiratif devant la maison de sa voisine.
Le photographe et artiste suisse d’origine asiatique Eng Hiong Low a vécu plusieurs années en Indonésie. Il connaît parfaitement plusieurs langues asiatiques dont la langue et la culture de ce pays. Il a grandement facilité les rencontres avec les personnes interviewées.
Le tremblement de terre
Le 27 mai 2006, la terre trembla à Java pendant plus d’une minute. D’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter, au sud de la ville de Jogjakarta, le séisme a fait 5800 victimes, 45 000 blessés et près de 300 000 familles sans abri. Après avoir fourni de l’aide d’urgence à plus de 4500 familles, Caritas Suisse a reconstruit 534 maisons antisismiques dans quatre villages du district de Gunung Kidul. De plus, comme l’eau est rare en saison sèche dans cette région, Caritas Suisse vient de terminer un grand projet d’approvisionnement en eau pour plus de 8000 bénéficiaires qui leur fournit plus de 30 litres d’eau propre par jour. Des programmes de soutien à la communauté comme du microcrédit et une aide à monter de petites entreprises ont également été mis en place. L’ensemble des projets de Caritas Suisse dans cette région se monte à près de 4,5 millions de francs financés en partie grâce à la Chaîne du Bonheur et au réseau international de Caritas.