Guigoz: ce nom évoque le célèbre lait pour bébé qui avait défrayé la chronique dans les années 70 en Afrique. En Valais, il sonne comme le nom d’une collection sulfureuse léguée en 1968, par testament, aux Musées cantonaux par Edouard Guigoz, un cousin éloigné du créateur du célèbre lait pour bébé.

Enquête en 3 épisodes sur l’origine illégale d’une collection d’importance européenne et la cécité volontaire des autorités valaisannes. 

La collection Guigoz est d’une importance patrimoniale européenne. Voici le troisième épisode de l’enquête.

A la découverte de la collection cachée

C’est une fin d’après-midi d’automne, le soleil est bas sur la capitale valaisanne. Après m’ avoir fait signer un document engageant la rédaction à ne pas divulguer le lieu de conservation de la collection, Pascal Ruedin, me donne rendez-vous à proximité d’une agence immobilière bien connue dans la capitale. Il paraît assez détendu. Il faut dire que je le connais bien. A la fin de mes études en histoire de l’art, j’avais fait un stage en 1999 sous sa direction au Musée des Beaux-Arts de Sion. 

Après quelques small talks, nous empruntons une petite ruelle et entrons par une porte dérobée dans un entrepôt industriel plus proche d’une friche que d’un lieu de conservation. Les couloirs sont sombres et frigorifiques.

Trois employés des Musées cantonaux prennent la pause à la cafétéria de l’entrepôt. Deux d’entre eux s’agitent à notre arrivée. Un technicien, grand, blafard avec des cheveux roux et de grands yeux bleus profonds, nous dévisage, étonné de notre présence. Répondant à l’ordre du directeur, il nous guide vers une lourde porte fatiguée gris foncé. Nous prenons un ascenseur industriel qui me fait penser à une scène de Diva, le film de Jean-Jacques Beineix. 

Une immense salle baignée de lumière de néons, remplie d’étagères et de tiroirs en métal s’ouvre devant nous. Le sol en PVC est rouge vif. Il brille comme un parquet ciré; l’espace est comme aseptisé. Il me rappelle les abris de protection civile. C’est comme si la vie et le temps s’étaient figés ici. Des hygromètres mesurent le niveau d’humidité. « La collection Guigoz est là!», lance Pascal Ruedin, l’air satisfait. « Nous n’avons rien à cacher et vous pouvez constater qu’elle est conservée ici de manière optimale ». Sur quatre niveau d’étagères, près de 500 caisses grises en plastique empilées et contiguës portent des étiquettes blanches « collection Guigoz ». Ces caisses, de 10 à 20 cm d’épaisseur contiennent les précieux verres conservés dans des moules en polystyrène expansé. De nombreuses lampes à huile en terre cuite se blottissent à l’étroit dans leur mousse. Je constate que certains verres sont cassés. « C’est inévitable », me dit Pascal Ruedin. Des milliers de colliers en verre de couleur sont conservés dans de petits sachets en plastique.

Les techniciens se sont donnés de la peine pour la conservation de cette collection avec les moyens dont ils disposaient. Il faudrait en effet près d’un million de francs pour restaurer complètement cette collection, selon Benjamin Schäfer, auteur d’une thèse de doctorat sur l’état de conservation de la collection Guigoz, que nous avons contacté par téléphone. Dans son ouvrage, il affirme que l’ensemble de la collection n’est pas dans un très bon état de conservation.

Pascal Ruedin lance une remarque avec une certaine ironie: « Vous voyez, il y n’a pas de problème. Nous n’avons pas pu arranger tout cela spécialement pour l’interview. Nous n’aurions pas pu tout déménager en une nuit de toute façon. Cette collection est là depuis longtemps ». 

Sur certaines étagères, des amphores grecques placées sur le flanc et recouvertes encore de coquillages du fonds des mers, des corps démembrés sont exposées tandis que des fragments de marbres sont posés à même le sol dont une figure allégorique hellénique avec un aigle picorant dans sa main droite; des chapiteaux corinthiens aussi. L’ensemble de la collection forme un U et occupe environ la moitié de l’immense salle de plusieurs centaines de mètres carrés. Nous désirons filmer le directeur devant les objets mais il refuse catégoriquement. Il est mal à l’aise. Il ne semble pas vouloir associer son image à cette collection.

Depuis 1986, la collection a été stockée successivement dans trois réserves différentes des Musées cantonaux. Cet entrepôt constitue le dernier exil connu de la collection. Ce lieu de conservation semble provisoire et la collection est en attente d’être totalement inventoriée et «récolée» comme on dit dans le milieu des historiens.

Questions ouvertes

La collection Guigoz comptait-elle plus de 5000 pièces au départ et y aurait-il eu du coulage entre le moment où la collection est partie du Tessin et a été inventoriée par les Musées cantonaux à Sion comme certaines sources l’affirment? Le seul moyen de le savoir serait d’avoir accès à l’inventaire zéro, s’il existe et à l’acte de donation. Nous nous sommes procuré un inventaire photographique qui a été réalisé par les Musées cantonaux. Cet inventaire compte 1999 fiches se basant sur le testament d’Edouard Guigoz de 1968. A l’heure actuelle, il n’y a aucun moyen de savoir quel est le nombre exact de pièces faisant partie de cette collection. Nous avons contacté à plusieurs reprises le notaire d’Edouard Guigoz, Pierfrancesco Campana, qui avait toujours son étude au Tessin. Il venait régulièrement en Valais, car il avait une résidence secondaire sur le Haut-Plateau. Il nous a confié se souvenir clairement de ce testament qu’il conservait dans ses archives. Il connaissait également très bien la famille Guigoz. Nous avons essayé de le rencontrer à plusieurs reprises sans succès. Il semble malheureusement être décédé l’an passé. Le seul espoir de retrouver l’acte de donation qui a semble-t-il, selon certaines sources bien informées, mystérieusement disparu des archives de la Chancellerie de l’Etat du Valais, est de pouvoir accéder aux archives des notaires à Chiasso. Nous attendons la réponse à notre demande officielle.

Le mystère de l’origine de cette collection reste en grande partie complet. Cependant, l’UNESCO, la Présidence italienne et de nombreux experts ont été contactés dans le monde entier pour tenter de démêler ce mystère. Il semble pourtant étonnant que les experts mandatés par le Service de la culture du Valais n’aient toujours donné aucune information officielle sur leurs recherches, six ans après le début de leur enquête.

 Grégoire Praz, journaliste RP, 2021.

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Nous avons pu filmer la collection Guigoz dans son lieu de conservation à Sion.

Quelques références bibliographiques

 

Benjamin Schäfer, Die Präventive Konservierung einer archäologischen Glassammlung am Beispiel der Hohlglassammlung “Collection Guigoz” : Diplomarbeit vorgelegt dem Fachbereich 5, Gestaltung Studiengang Restaurierung/ Grabungstechnik der Fachhochschule für Technik und Wirtschaft Berlin, Berlin, 2004

 

Danièle Bally, Vases corinthiens, italo-corinthiens et attiques : collection Guigoz ; Lausanne : Université de Lausanne – Faculté des Lettres, 1986

 

Danièle Bally, Vases grecs du Musée cantonal d’Archéologie de Sion : collection Guigoz : [exposition], Fondation Pierre Gianadda, Martigny, 13 janvier – 24 février 1985 : catalogue des vases accompagnant l’exposition La Cité des Images, DIP, Service des musée cantonaux, 1985

 

Rencontre Valais-Tessin dans le Vieux-Pays : [collection de verres antiques d’Edouard Guigoz], in : Treize Etoiles, 32, 1982, 8, p.38-40 : ill.

 

Pascal Thurre, Triptyque dans le Vieux-Pays (Musée cantonal d’archéologie, Vitraux du palais du Gouvernement, Collection Guigoz), in : Treize Etoiles, 26,1976,11,p.37-39 : ill.

 

Georges Spagnoli, Verres et bouteilles : [musée cantonal d’archéologie : collection Edouard Guigoz], in : Treize Etoiles,26,1976,11,p.23-24 : ill.

 

La collection Guigoz : l’ensemble le plus important de verres antiques, F. de C., in : Construire,1975, 3, p.9 : ill.

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